Avec la demande en travaux de pavage qui s’est accentuée au cours des derniers mois, les défis de toutes sortes se sont accumulés. Que l’on parle d’approvisionnement ou de main-d’œuvre, la situation évolue rapidement et demande une grande réactivité. À ces défis que les travailleurs et entrepreneurs connaissent au Sud s’ajoutent plusieurs autres facteurs dans le Nord, et on ne parle pas seulement du facteur de refroidissement éolien. À ce chapitre, Ken Bellavance et Jefferson Sicard, mécaniciens chez Toromont, nous parlent de son expérience sur la Côte-Nord et à La Baie James.
La carrière de Ken a débuté chez Hewitt en 2004 à Val-d’Or. Après quelques allers-retours entre Baie-Comeau et Québec, il s’est retrouvé à la Baie-James : « J’ai travaillé au projet Eastmain en 2005 en remplacement durant l’été et ensuite, je me suis joint au projet Eastmain 1A, Sarcelle, Rupert de 2006 à 2009, puis à la succursale du projet de la Romaine de 2014 à 2016. » Celui qui a aussi travaillé auprès du consortium KPH-Turcot de 2016 à 2020 peut comparer les enjeux auxquels on a affaire, que l’on soit au sud ou au nord du Québec.
Pour Jefferson Sicard, diplômé en mécanique depuis 2001, formé chez Toromont (anciennement Hewitt) via le programme d’apprenti, employé ensuite à Pointe-Claire et mandaté notamment à Fire Lake (Wabush) avant d’être enrôlé comme soldat d’infanterie dans les Forces armées canadiennes de 2016 à 2021, on peut dire qu’il connaît les terrains hostiles.
K.B. : Le principal défi était bien sur l’éloignement. Nous avions par contre de bonnes ententes de transport avec des livraisons quotidiennes ce qui aidait beaucoup. Mais souvent dans l’urgence des demandes, on devait faire preuve d’imagination et de débrouillardise afin de répondre aux demandes des clients et des techniciens pour remettre les machines en marche. C’est d’ailleurs ce point qui fait ma force maintenant.
J.S. : Le froid. Tout est plus compliqué avec le froid. Les moteurs sont durs à partir, certains outils deviennent plus fragiles, les boyaux de compresseurs gèlent et nous forcent à travailler plus physiquement sans l’accès à l’air comprimé. Pouvoir prendre une pause dans un endroit chauffé devient la plus belle chose qui puisse t’arriver dans ta journée. DE la neige à la fin août jusqu’au début juin pour un gars frileux comme moi, c’est démoralisant.
K. B. : Une journée typique commence le matin vers 6 h 30 avec la préparation du café. (Rires) Sans blague, on commençait en premier lieu à discuter avec les techniciens pour savoir ce dont ils avaient besoin pour la journée. On traitait les commandes passées durant la nuit par internet ou par courriel et parfois on répondait aux clients qui attendaient déjà à la porte pour qu’on leur fabrique des boyaux ou pour avoir des pièces urgentes. Ensuite, durant la journée, je m’occupais des différentes demandes soit de l’interne ou des clients. Ça passait par le traitement de pièces en garantie, de vieux boyaux pour l’échange (inspection et crédit), des crédits de pièces venant des clients ou des techniciens, de l’entretien du bâtiment comme le déneigement de la cour, remplir les réservoirs pour l’eau courante, faire la réception et l’expédition de machines, la vente de pièces auprès des clients, la commande de pièces, faire le suivi sur les pièces en rupture de stock, aller chercher des pièces à l’aéroport le cas échéant, livrer parfois des pièces aux clients, traiter les demandes de garanties, gérer les stocks des pièces pour répondre le mieux possible aux demandes des clients parce qu’on est très loin. Bref j’étais une succursale à moi tout seul, ce qui m’a permis d’acquérir une grande expérience et de bons contacts.
J. S. : Je me levais tôt pour aller partir mon camion afin d’avoir du chauffage et des outils tièdes et je me rendais à la roulotte de cuisine pour prendre mon même déjeuner jour après jour. Rendez-vous ensuite sur la « ready-line » dès que le quart de nuit ramenait les équipements pour prendre connaissance des bris survenus pendant la nuit et réinspecter tous les équipements avant le quart de jour. Je réglais les urgences immédiates selon l’ordre de priorité des machines primaires et par la suite, je continuais les réparations en cours dans un dôme en toile. L’important, c’était la communication entre moi et le client pour permettre aux machines d’avoir un maximum de taux de disponibilité et d’utilisation.
K. B. : Ce que j’ai aimé le plus dans ces projets, ce sont les liens d’amitié et de camaraderie. On était un groupe qui vivait pratiquement ensemble 24 heures sur 24. Il fallait aussi développer notre sens de la débrouillardise dans tout parce que ce sont des projets qui demandent d’être très polyvalent. J’ai adoré mon expérience « FLY IN/FLY OUT ». C’est sûr que parfois le temps était long, mais jamais trop parce qu’on était une équipe solidaire. On pouvait compter les uns sur les autres et, franchement, qui ne veut pas d’un emploi qui donne un bon salaire et au moins une semaine de vacances par mois ?
J. S. : Me retrouver dans un monde où tout est démesuré. Les équipements sont démesurés, les moyens utilisés sont démesurés et ce qu’on accomplit est démesuré en soi, parfois même avec le peu qu’on peut retrouver dans ces régions éloignées.
K. B. : L’industrie du pavage est actuellement mise à grande contribution pour la reprise économique dans la foulée de la Covid. Déjà nos routes et nos infrastructures sont très endommagées et la demande est forte. Par contre, l’un des plus grands défis que nous vivons, et cela peu importe le fournisseur, c’est l’approvisionnement, que ce soit en machine ou en pièces, la Covid a créé des délais dans tout et c’est difficile de prendre le dessus. Je déteste mettre la faute sur la pandémie, mais c’est certain que cette épreuve a mis en évidence les lacunes des différents systèmes d’approvisionnement. Pour le Québec, l’industrie connaît une forte demande et son plus gros problème est le manque de main-d’œuvre. C’est aussi un travail très dur et saisonnier. On doit travailler souvent quand il fait très chaud, en plus de la chaleur de l’asphalte et les heures qui sont parfois longues. Ajoutez à cela des horaires changeants à cause de la météo. Ce n’est donc pas simple de recruter de nouveaux employés.
K. B. : La technologie est très présente dans ce domaine surtout lorsque l’on parle de pavage pour les autoroutes et les aéroports. Les exigences sont très strictes dans le but de pouvoir garantir une durée de vie optimale aux infrastructures afin d’abaisser les coûts de possession et d’entretien et d’assurer une sécurité optimum aux usagers. Que ce soit par le profilage de la chaussée lors du planage (3D) ou de la pose de l’enrobé (asphaltage) en 3D, avec les capteurs Sonic pour les suivis de profil (ski de nivellement) qui assurent une pose le plus à plat possible, la thermographie pour effectuer la pause à une température optimale pour compacter à la bonne température et optimiser la durée de vie de la structure. Il ne faut pas oublier les compacteurs qui sont aussi munis de capteurs de température de surface pour voir la température de l’enrobé, des moniteurs de suivi des passes pour indiquer à l’opérateur où celui-ci a roulé et combien de fois; s’il a passé au même endroit ou pour ne pas oublier de passer à tel endroit. Il y a aussi l’indicateur de CMV qui mesure le rebondissement de la machine sur une surface compactée pour éviter de trop compacter, ce qui briserait les agrégats dans l’asphalte et occasionnerait une diminution de la longévité de la surface, donc des coûts d’entretien plus élevés et une réfection de la chaussée plus onéreuse.
J. S. : J’aurais tendance à dire que la technologie prend de plus en plus de place, mais ce serait plus sage de dire qu’elle est de plus en plus à notre disposition. Façon prudente de dire qu’elle est là, dans toutes les sphères du pavage, mais j’estime qu’on l’a sous-utilisé, soit par la méconnaissance, ignorance de l’existence de telle ou telle technologie ou souvent, parce que les années d’expérience des équipes de pavage tends à dicter leur façon de faire.
K. B. : La première chose à mon avis à considérer est le service après-vente. Acheter un équipement est une chose, mais même si on a le meilleur équipement au monde, quand on a besoin de support, que ce soit en disponibilité de pièces, de techniciens, de conseils techniques ou de support sur un chantier à la demande des clients, la machine ne sera pas plus fiable que le service du fournisseur. Heureusement, nous sommes en mesure de fournir l’un des meilleurs services à la clientèle de l’industrie. C’est ce qui à mon sens doit nous démarquer. Lorsqu’un client appelle, peu importe l’ampleur et la complexité des travaux, nous pouvons toujours nous déplacer et l’aider. C’est ce qui fait notre force.
J. S. : Une des plus grandes constantes dans le travail de nos clients est probablement la gestion de coûts suite à l’obtention d’un contrat. De toute mon expérience dans l’équipement lourd, je n’ai jamais vu un client fâché que tout se soit déroulé parfaitement et dans les délais prescrits. Par contre, un « grade » à refaire, une base trop molle, un bris inattendu, une machine « down », des pièces discontinuées ou indisponibles… Un mauvais mix d’asphalte, la pompe du camion de colle qui ne marche pas, un plan d’asphalte hors service et j’en passe, tous ces facteurs sont variables et incontrôlables. Je crois que c’est notre rôle comme concessionnaire Cat d’aider les clients à les transformer en facteurs invariables et contrôlables. En ayant de bons liens avec nos constructeurs de routes, afin de les supporter et les aider à utiliser la technologie en place pour les grades, que les opérateurs maximisent la compaction, que l’état de santé des machines soit connu et les équipements entretenus durant les bonnes périodes avec les pièces disponibles selon les projections des besoins. En résumé, une flotte de machines en santé minimise de beaucoup les situations incontrôlables.